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Patrimoine : comment Notre-Dame de Paris est-elle assurée ?

Notre-Dame de Paris a été ravagée par un incendie déclenché le 15 avril 2019

Notre-Dame de Paris a été ravagée par un incendie déclenché le 15 avril 2019 - AFP

La catastrophe qui a touché l'un des plus beaux édifices de France interroge sur la façon dont sont assurés les monuments historiques appartenant à l'Etat.

Après l'incendie qui a ravagé une grande partie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris qui s'est déclenché lundi 15 avril, la reconstruction prendra des décennies et nécessitera des moyens colossaux. Alors que les dons commencent à affluer, cette catastrophe patrimoniale soulève également la question de savoir qui est propriétaire de l'édifice et comment ce chef d'œuvre est assuré.

Sur le premier point, "Notre-Dame-de-Paris appartient à l'Etat", a expliqué ce mardi matin sur RMC et BFMTV Monseigneur Michel Aupetit, l'archevêque de Paris. Ce qu'a confirmé le ministère de la Culture, contacté par BFM Lavieimmo. C'est le cas depuis la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation de l'Eglise et de l’État.

Un principe d'auto-assurance de l'Etat qui date du XIXe siècle

Cela peut paraître surprenant mais la cathédrale, classée au titre des monuments historiques depuis 1862, n'est pas spécifiquement assurée en tant que telle, comme par exemple un immeuble par une compagnie privée. Comme tous les biens appartenant à l'Etat. En effet, pour ces édifices, c'est le principe de l'auto-assurance de l'Etat qui s'applique. Dit autrement, c'est l'Etat qui prend en charge lui-même l'assurance des biens dont il a la responsabilité directe. En cas de dommages, il doit puiser directement dans les deniers publics et prendre en charge les conséquences financières des sinistres. "Il n'utilise pas de compagnie d'assurance pour les couvrir, sauf pour des montages juridiques particuliers, ce qui fait aussi qu'un certain nombre de châteaux ne sont pas couverts par le secteur privé, c'est un choix", confirme à l'AFP Dominique de la Fouchardière, dirigeant de SLA Verspieren, spécialiste de l'assurance de châteaux et monuments historiques.

Ce principe a été acté dans "un document non publié du ministère des Finances du 23 septembre 1889", note une annexe à un rapport complémentaire de la mission interministérielle sur l'évaluation des dispositifs de secours et d'intervention mis en œuvre à l'occasion des tempêtes des 26 et 28 décembre 1999, daté de janvier 2001. Jusqu'en 1889, l'Etat pouvait faire appel à des compagnies privées pour s'assurer contre des dommages. Mais depuis, il a été décidé que "l’État n'assurerait plus ses biens contre l'incendie auprès de compagnies privées et garderait lui-même la charge des conséquences du feu".

"L'administration considère que l'Etat, à raison du grand nombre et de l'importance de ses propriétés, doit être son propre assureur. Le chiffre annuel des primes que le Trésor aurait à payer, en cas d'assurance de tous ses immeubles, serait disproportionné avec la somme des indemnités qu'il pourrait être appelé à toucher", indiquait la décision du 23 septembre 1889, comme le souligne ce rapport. "En 1937, la Cour des comptes affina l'argumentation : "en ne s'assurant pas, (l’État) réduit sa dépense du montant du bénéfice et des frais de gestion de l'assureur"", ajoute-t-il. Des arguments qui n'ont pas forcément été étayés ou réévalués ces dernières années.

On ajoutera que "les collectivités locales peuvent aussi s’assurer en complément de la garantie de l’Etat pour des monuments historiques", comme l'explique Nicolas Kaddeche, responsable art et clientèle privée chez Hiscox Assurances, un assureur qui pèse environ 30% du marché de l'assurance des oeuvres d'art pour les particuliers et les musées.

Un budget pour les monuments historiques très contraint

Pour l'Etat, encore faut-il disposer de fonds suffisants lorsqu'un sinistre de cette ampleur se produit. Sur ce point, il conviendrait en théorie de provisionner des fonds, c'est-à-dire de mettre de côté de l'argent destiné à couvrir ce type de sinistres chaque année. Dans la pratique cependant, l'Etat pioche dans son budget courant les fonds nécessaires. Pour 2019, le budget (en crédits de paiement, c'est-à-dire pouvant être directement débloqués cette année) du ministère de la Culture consacré à l'ensemble des monuments historiques et au patrimoine monumental est de 345,7 millions d'euros.

Sur ce montant, 39,5 millions d'euros sont liés à des dépenses de fonctionnement, comme le détaille une annexe au projet de loi de finances pour 2019. Les 306,2 millions d'euros restants se répartissent entre les dépenses d'investissement (86,4 millions d'euros), les dépenses d'intervention (170,4 millions d'euros) et les dépenses d'opérations financières (49,37 millions d'euros). Il est néanmoins très probable que l'Etat débloque une enveloppe exceptionnelle, et ce sur plusieurs années, pour la reconstruction et la rénovation de Notre-Dame de Paris. Les dons des particuliers et des entreprises auront alors bien toute leur utilité.

Les assurances des responsables devraient aussi être mises à contribution

Mais des assureurs privés devraient aussi être mis à contribution au bout du compte. "L’Etat peut se retourner contre les responsables de l’incendie qui pourraient avoir à payer tout le préjudice. Leur assurance paiera alors les dégâts dans la limite de leur responsabilité civile. Le reste, ce sera sur les fonds propres des responsables et dans la limite de leur solvabilité. Il est très probable qu’il y ait un procès pour déterminer les responsabilités sur ce point", estime Nicolas Kaddeche.

Il faudra notamment déterminer la chaîne de responsabilité avec les sous-traitants éventuellement impliqués. Ce qui prendra beaucoup de temps et les montants "récupérables" par ce biais devraient de toute façon être sans commune mesure avec les dégâts engendrés. Les garanties dommages aux existants incluses dans les assurances responsabilité civile des entreprises effectuant des travaux ont généralement des plafonds d'indemnisation de 1 à 2 millions d'euros, précise L'Argus de l'assurance.

Et pour les œuvres d'art ?

Outre l'assurance sur le bâtiment en lui-même, se pose la question de l'assurance des œuvres d'art. "Tous les musées s’assurent généralement sur les œuvres d’art abritées dans les bâtiments publics", indique Nicolas Kaddeche. Si les oeuvres sont "remplaçables" (échangeables contre une oeuvre semblable du même auteur par exemple) et valorisables, des expertises vont évaluer leur valeur de marché ou de remplacement. En cas de dommage partiel, l'assurance va couvrir la restauration ainsi que la dépréciation de l'oeuvre après restauration. Par exemple, pour une oeuvre assurée à une valeur de marché de 100.000 euros, une assurance pourra couvrir les frais de restauration (par exemple 5.000 euros) ainsi que la perte de valeur de l'oeuvre (par exemple 25.000 euros). Si l'oeuvre en question est entièrement détruite, l'assurance paiera l'intégralité de la valeur de marché (100.000 euros ici).

En revanche, certaines œuvres ne sont ni remplaçables ni valorisables. C'est par exemple le cas de la Joconde. Dans cette hypothèse, l'assurance ne va couvrir que la restauration de l'oeuvre et les éventuels frais liés à certains sinistres (par exemple liés à la recherche d'un tableau volé, à son déplacement, ...). Quand ce type d'oeuvre est entièrement détruite, l'assurance ne le couvre pas. "La plupart des sinistres, ce sont des casses accidentelles. L’incendie, c’est le plus rare mais le plus grave. Ce qui compte alors, c’est d’intervenir le plus vite possible", confie Nicolas Kaddeche.

Pour les biens à l'intérieur de la cathédrale, c'est à l'archevêché de Paris de les assurer en théorie. "Depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, les bâtiments sont assurés par l'Etat et les biens sont assurés par des polices d'assurances spécifiques quand l'Eglise le peut", détaille à l'AFP Dominique de la Fouchardière. Contacté par l'AFP, le diocèse de Paris n'était pas en mesure de donner des précisions pour le moment sur la couverture des biens et des oeuvres d'art à l'intérieur du bâtiment.

Jean Louis Dell'Oro