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Pourquoi la victoire de Paris devant la justice européenne ne signe pas encore la défaite d'Airbnb

Pénurie de logements: Paris l'emporte en justice contre Airbnb

Pénurie de logements: Paris l'emporte en justice contre Airbnb - AFP

La ville de Paris a remporté une bataille décisive dans la guerre judiciaire qui l'oppose à Airbnb, après la validation par la justice européenne de la loi française qui régule les locations de courte durée. Mais la cour de Cassation a encore de nombreux points à trancher. Et une autre affaire reste en cours.

Paris a gagné une bataille dans la guerre qui l'oppose à Airbnb, la justice européenne ayant validé la loi française qui régule les locations de courte durée. Dans son arrêt, la Cour de justice de l'UE estime qu'"une réglementation nationale soumettant à autorisation la location, de manière répétée, d'un local destiné à l'habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile est conforme au droit de l'Union". Elle ajoute: "La lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une telle réglementation".

Si les élus parisiens se sont réjouis de cette victoire, la guerre contre Airbnb n'est pas encore remportée. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) invite la cour de Cassation à trancher de nombreux points.

Un complexe système de compensation

Xavier Demeuzoy, avocat spécialisé dans la location saisonnière, estime que la Cour de justice ne dresse pas moins de 5 critères au moins qui devront être examinés par la Cour de cassation pour vérifier la conformité du dispositif contraignant de la ville de Paris. Il s'intéresse notamment à l'exigence de proportionnalité du mécanisme de compensation.

La loi française conditionne la mise en location de certains logements sur des plateformes comme Airbnb à une autorisation préalable de la mairie dans les villes de plus de 200.000 habitants et de la petite couronne parisienne. Les résidences principales ne peuvent pas être louées plus de 120 jours par an, les autres logements doivent obtenir une "autorisation de changement d'usage" (pour passer d'un local à usage d'habitation à un local à usage commercial) auprès de la mairie. Un propriétaire doit changer l’usage de son bien, soit en transférant la commercialité d’un local commercial qu’il possède en habitation, soit en achetant directement cette commercialité, soit de la taille du bien, soit deux fois plus grand si le bien est dans le centre de Paris. Par exemple, le propriétaire d'un logement de 20 mètres carrés dans le 1er arrondissement devra acheter et transformer 40 mètres carrés de bureaux ou commerces.

Xavier Demeuzoy explique que: "La Cour précise que cette faculté reconnue par la réglementation nationale aux autorités locales ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre leur objectif. Aux fins de cette appréciation, la Cour précise "qu’il appartient au juge national de vérifier, à la lumière de l’ensemble des éléments mis à sa disposition, si cette faculté répond effectivement à une pénurie de logement destinés à la location longue durée, constatée sur les territoires concernés". Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères fixés par la Cour de justice. Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation".

En attente d'une décision de la cour de Cassation

Par ailleurs, il rappelle également que la CJUE exige que la juridiction nationale détermine si "le quantum et l’obligation de compensation que les autorités ont fait le choix d’imposer s’avèrent non seulement adaptés à la situation du marché locatif mais également compatibles avec l’exercice de l’activité de meublé touristique". En clair, il faudrait tenir compte des spécificités de chaque commune, chaque arrondissement, chaque quartier.

Xavier Demeuzoy note également que la Cour de justice invite la juridiction nationale à prendre en considération, dans l’examen de la validité du texte, les modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée. "La Cour nous indique que "ces mécanismes doivent toutefois répondre à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles". Mon cabinet, qui conseille des propriétaires désireux de réaliser ce type de changement d’usage, peut confirmer que ces trois conditions sont illusoires. La démarche est complexe, l’offre de commercialité est inexistante en raison de l’absence ou presque de commercialité à vendre et enfin du coût extrêmement élevé voir dissuasif de cette dernière". La cour de Cassation devra donc trancher cette question.

Autant de critères qui font dire à Xavier Demeuzoy que "toute reprise du contentieux devant le tribunal judiciaire avant le rendu de cet arrêt de la Cour de cassation serait donc prématurée et particulièrement fragile sur un plan juridique. En effet, les jugements qui seraient rendus d’ici la fin de l’année 2020 pourraient être rendus en contradiction avec la position de la Cour de cassation et nourrir un abondant contentieux en appel inutile et coûteux pour le contribuable et les propriétaires assignés".

Les obligations imposées à Airbnb compatibles avec le droit européen?

En outre, il reste une deuxième affaire en suspens. En effet, la CJUE s'est prononcée dans le cadre d'une affaire opposant des bailleurs à la mairie à propos de l'interprétation de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur. Cela concerne en simplifiant le bien-fondé des obligations et contraintes qui pèsent sur les loueurs. Mais une autre affaire oppose cette fois-ci directement Airbnb à la mairie de Paris, dans une procédure liée à la directive commerce électronique. Celle-ci porte sur les obligations et contraintes qui pèsent cette fois-ci sur les plateformes de location comme Airbnb.

Cette affaire a pour l'instant été jugée en référé (une procédure d'urgence qui n'a pas autorité de la chose jugée) mais devrait l'être dans les mois qui viennent sur le fond. La mairie reproche à Airbnb le non-respect de la loi sur les numéros d'enregistrement, puisque de nombreuses annonces n'affichent aucun numéro. Or, la loi Elan prévoit des amendes allant jusqu'à 12.500 euros par annonce non conforme pour les plateformes de location saisonnière qui les diffusent. De même, si l'obligation de transmettre aux communes le nombre de jours au cours desquels un meublé de tourisme a été loué n'est pas respectée, une plateforme peut être sanctionnée par une amende de 50.000 euros par manquement. Or, Airbnb dépend bien de la directive commerce électronique, comme l'a confirmé la CJUE en décembre dernier.

En principe, elle pourrait donc ne pas avoir à respecter d'autres réglementations que celle en vigueur dans son pays d'implantation d'origine (en l'occurrence l'Irlande). La France aurait alors le droit d'imposer des contraintes aux loueurs... mais pas à la plateforme de location saisonnière. C'est ce que devra trancher le tribunal judiciaire de Paris.

Le pouvoir des agents municipaux limité

Enfin, le Conseil constitutionnel a tranché une question de taille sur le pouvoir de contrôle des agents municipaux. Ceux-ci n'ont pas le droit d'entrer de force dans les logements sans l'accord de l'occupant ou du propriétaire. Cela ne peut se faire qu'avec l'aval d'un juge dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Diane Lacaze