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Pourquoi les ventes immobilières de l'Etat rapportent de moins en moins d'argent

L'hôtel de Seignelay a été vendu par l'Etat en 2019

L'hôtel de Seignelay a été vendu par l'Etat en 2019 - Bercy

Le produit des cessions de biens appartenant à l'Etat ne cesse de se réduire au fil des ans. Et ce mouvement ne devrait pas s'inverser dans les années à venir. Décryptage.

L'Etat, le premier propriétaire de France, continue de rationaliser son parc immobilier. Mais les ventes rapportent chaque année moins d'argent. En 2018, le pays a ainsi cédé 655 biens pour un montant total de 240 millions d'euros, selon le premier rapport d'activité de la Direction de l'immobilier de l'Etat (DIE). C'est un tiers de recettes en moins par rapport à 2017 où les ventes atteignaient 357 millions d'euros. Et c'est plus de deux fois moins qu'en 2016 (533 millions d'euros) et en 2015 (574 millions d'euros).

Certes, il y a encore quelques belles ventes de prestige. Comme, l'an dernier, la cession de l'hôtel de Vogüé dans le 7e arrondissement de Paris, pour un montant non divulgué. Cet hôtel particulier du quartier des Invalides construit en 1882-1883 et transformé en immeuble de bureaux (d'une surface totale de 2.660 m2) a trouvé preneur en novembre. La vente du bâtiment, qui hébergeait le Conseil d'analyse économique, était évoquée depuis 2012. Autre cession de taille, mais qui sera cette fois-ci comptabilisée en 2019 : l'hôtel de Seignelay. Situé également dans le 7e arrondissement de la capitale, cet hôtel particulier datant de 1715, et d'une surface de 3.000 mètres carrés, a été le siège de plusieurs ministères dont celui de l'Industrie. Si la DIE ne communique pas sur le prix de vente, ce bien aurait été racheté par Pierre Kosciusko-Morizet et Pierre Krings, deux des fondateurs de PriceMinister.

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Aussi symboliques soient-elles, ces ventes sont deux gouttes d'eau dans le parc immobilier de l'Etat (et des opérateurs de l'Etat comme Pôle Emploi ou le CNRS), qui représente encore 191.000 immeubles, 30.000 biens non bâtis et 99 millions de m2 de bâtis occupés. La valeur totale de ce patrimoine est estimée à 62,6 milliards d'euros (dont 2,7 milliards à l'étranger) pour un coût (de fonctionnement et d'investissement mais hors dépenses de personnel) de 7,9 milliards d'euros par an. On notera que les établissements scolaires (gérés par les collectivités locales) et les biens dont la valeur est inestimable et qui ne seront jamais vendus (à l'instar de Versailles ou de Notre-Dame-de-Paris) ne sont pas pris en compte pour déterminer la valeur globale du patrimoine de l'Etat. "Seuls les terrains et bâtiments que l’État « contrôle » (c’est-à-dire ceux dont il maîtrise les conditions d’utilisation comme un propriétaire, soit 103 000 biens) sont évalués chaque année et inscrits à l’actif du bilan de l’État", précise le rapport de la DIE.

Les meilleurs édifices ont trouvé preneurs en premier

Quoi qu'il en soit, la tendance des dernières années est nette : les ventes font moins recette. Comment l'expliquer? Pour comprendre où nous en sommes aujourd'hui, il faut remonter aux origines de la création en 2007 de France Domaine, l'ancêtre de la DIE. Avant le lancement de cette structure, chaque ministère gérait son patrimoine immobilier de son côté. L'idée était donc de recentraliser la gestion. "France Domaine avait, lors de sa création en 2007, pour mission de réaliser l'inventaire du parc existant puis de le rationnaliser et d'en professionnaliser la gestion. France Domaine est ensuite monté en puissance sur la question de la négociation de ses prises à bail dans le parc privé par exemple", résume aujourd'hui à BFM Immo la Direction de l'immobilier de l'Etat. A cette époque, France Domaine établit une liste de biens à vendre. Et, assez logiquement, ce sont les meilleurs édifices ou terrains qui trouvent preneurs en premier.

Près de 12 ans après le début de cette politique, les biens qui restent sont donc souvent les plus compliqués à vendre, par exemple parce qu'ils sont mal placés, nécessitent beaucoup de travaux ou sont surdimensionnés par rapport à la demande du marché. D'ailleurs, entre janvier 2013 et décembre 2018, le stock de biens à vendre appartenant à l'Etat a reculé de 19%, passant d'environ 2.250 biens listés (et recensés sur le site des cessions immobilières de l'Etat ici) à un peu moins de 1.850 actuellement. "Contrairement aux années antérieures, très peu d’opérations d’ampleur exceptionnelle ont été réalisées en 2018. De plus, la durée moyenne de vente d’un bien immobilier cédé en 2018 s’établit à 17,8 mois. Outre la conjoncture économique qui n’est pas favorable aux transactions immobilières, et en particulier aux transactions de biens professionnels qui ne sont pas neufs ou entièrement rénovés, il convient de rappeler que les biens de l’État les plus liquides ont été cédés ces dernières années. Les services de la DIE restent ainsi chargés de la cession de biens complexes qui constituent une part importante du stock des biens cessibles de l’État qui a fortement diminué depuis 2013", détaille le rapport de la DIE.

Des biens restant "en état médiocre"

"Le portefeuille de la direction de l’immobilier de l’État se compose aujourd’hui de biens en état médiocre ou qui justifie une remise aux normes environnementales et d’accessibilité ; nombre d’entre eux se situent au demeurant en dehors des zones attractives", pointait déjà un rapport parlementaire sur la gestion du patrimoine de l'Etat de juin 2018, comme le soulignait récemment Le Figaro dans un article sur ce sujet.

Ensuite, au fil des ans, les objectifs ont changé. En 2016 par exemple, Christian Eckert, secrétaire d'Etat du Budget présente une "nouvelle politique immobilière de l'État" en Conseil des ministres. Principale décision : le produit des ventes ne servira plus à réduire la dette publique. Ou plus exactement, il n'y aura plus de part fixée (30% alors) dans l'affectation du produit des ventes au désendettement de l'Etat. Ce qui pouvait poser des problèmes de trésorerie, notamment pour financer certains projets immobiliers… permettant de réaliser des économies budgétaires à terme. "Il n'y a pas d'objectifs de cessions : ce sont des estimations de ventes, établies par chaque ministère, en fonction des biens dont il n'ont plus l'usage. L'Etat ne s'oblige pas à vendre, il cède ce dont il n'a plus besoin ou ce qui n'est plus adapté pour assurer ses missions de service public", explique la DIE, qui a justement succédé à France Domaine en 2016. Dans une annexe au projet de loi de Finances 2019, le gouvernement estime à 320 millions d'euros le produit potentiel des cessions immobilières pour cette année (à comparer aux 491,7 millions d'euros estimés pour 2018, où les ventes ne seront finalement que de 240 millions d'euros).

"L'activité de la DIE est souvent vue par le prisme des cessions. C'est une partie de son activité mais il y en a d'autres, aussi importantes voire même plus auxquelles elle contribue, en relation avec les autres ministères, comme la mise en oeuvre de projets immobiliers de regroupements des services, de conservation, la modernisation et la rénovation du patrimoine de l'Etat ainsi que sa gestion", rappelle la DIE. Les renégociations de baux permettent, par exemple, de réaliser de substantielles économies, davantage que la vente de certains biens. Ainsi, en 2018, la renégociation de 469 baux a permis de réaliser 46,3 millions d'euros d'économies.

Un modèle en bout de course

"Le modèle d'une valorisation du parc par la seule cession, qui a permis de générer, depuis 2005, 7 milliards de recettes, s'est essoufflé et n'est plus soutenable", indiquait sans détours le gouvernement dans un dossier de presse à l'occasion du deuxième comité interministériel de la transformation publique (CITP) fin 2018. Le parc immobilier public est "démesuré, obsolète, non adapté au besoin, non géré et non optimisé", enfonçait également une note interne rédigée par un ancien de la DIE et dévoilée par L'Opinion en novembre dernier. Un parc "principalement composé d’actifs de qualité médiocre, produit de décennies de non-entretien", ajoutait ce dernier, qui pointait également "le manque total de professionnalisme et de compétence des services pour les mises en cessions".

Enfin, il existe encore des injonctions contradictoires. Par exemple, l'Etat est incité à débloquer du foncier à bas coût pour booster la construction de logements sociaux… tout en vendant au meilleur prix possible le patrimoine de l'Etat. Dans un rapport publié début 2018, la Cour des Comptes avait ainsi épinglé les cessions de foncier public avec décote en faveur du logement social. Par ce mécanisme, l'Etat vend à prix cassé un terrain (avec une décote), ce qui doit permettre en théorie à l'acquéreur, un office HLM par exemple, de construire davantage de logements sociaux à moindre coût. Ce système de décote a "parfois" fourni une "aide disproportionnée" par rapport à l'objectif de construction des opérations, et "les intérêts patrimoniaux de l'État n'ont pas toujours été suffisamment protégés, ce qui justifierait un contrôle financier renforcé des opérations", ont taclé les Sages. En 2018, 18 ventes ont été réalisées selon ce mécanisme, représentant un effort financier de l'Etat de 70 millions d'euros.

Un exemple marquant : la vente des bâtiments de l’îlot Saint-Germain (entre le boulevard Saint-Germain et la rue Saint-Dominique dans le 7e), qui étaient occupés par le ministère des Armées. L'Etat en a cédé une partie pour 29 millions d'euros (soit très en-dessous des prix du marché) à la ville de Paris. Un office HLM de la ville de Paris (la RIVP) a ainsi obtenu un prix imbattable et doit y construire 251 logements sociaux. La décote qui s'appliquera à la partie destinée à la construction de logements sociaux se traduit par une moins-value pour l'Etat de 60 millions d'euros, selon la DIE. En revanche, l'autre partie du site fera l’objet d’un appel d’offres en 2019 auprès d’opérateurs privés et d'autres investisseurs, pour une cession sans décote et au meilleur prix, ce qui permettra à l'Etat de financer d'autres projets immobiliers pour répondre à ses besoins de regroupement ou de relocalisation de services, précise encore la DIE. Chacun jugera de l'opportunité d'une telle opération dans ce quartier huppé de la capitale pour toutes les parties prenantes.

Créer des foncières publiques

Sans compter qu'il existe, même en dehors de ce système de décote, un droit de préemption des collectivités locales. En effet, lorsque l'Etat vend un bien, il est obligé de le proposer en premier aux collectivités locales. Certes, il le vend à la valeur vénale estimée par la DIE (sans décote donc) mais cela empêche les acteurs privés de se positionner et d'éventuellement surenchérir. Globalement, 40% des biens de l'Etat sont ainsi cédés aux collectivités locales quand 60% des transactions sont réalisées par d'autres acteurs (essentiellement des acheteurs privés).

Mais un changement de taille est à venir. Le deuxième CITP a entériné l'idée de faire appel à des foncières pour gérer le parc immobilier de l'Etat, "à l’image de celles qu’ont créées les acteurs publics ou privés disposant de parcs immobiliers de taille importante". L'idée : gérer "en syndic" des sites multi-occupants dont les cités administratives, louer des bureaux devenus inutiles à des acteurs privés ou publics, réaliser des opérations financières complexes ou encore gérer le parc résidentiel social de l'Etat. Le gouvernement réfléchit donc à la création de foncières publiques. Car les structures juridiques actuelles ne permettent pas non plus une gestion optimale par la DIE et limitent son champ d'action. De premières propositions concrètes sur ce point devraient être dévoilées d'ici à la rentrée.

Jean Louis Dell'Oro