BFM Immo
Immobilier

Troubles anormaux du voisinage : Les commerces

Une rue commerçante : au-delà du charme, les nuisances

Une rue commerçante : au-delà du charme, les nuisances - dr

Suite de notre dossier sur les troubles du voisinage. Nous nous focaliserons sur la (parfois difficile) cohabitation entre les commerçants et leurs voisins non-commerçants. Le contentieux est très important, surtout en ville. Mais le juge est très protecteur des deux parties, et veille à l'intérêt de chacun, particulièrement dans ce conflit, dans lequel la profession des personnes est mise en cause.

Si les immeubles à usage d’habitation peuvent permettre la mise en place de commerces, la tolérance de certaines nuisances causées par ceux-ci est souvent mise à rude épreuve. Le voisinage d’un commerce peut en effet entraîner des nuisances sonores, visuelles ou olfactives. Les troubles sont aussi divers que les activités commerçantes sont variées. La jurisprudence sur les odeurs et bruits s’applique, de prime abord, à ce type de conflit : fumées, émanations, tapage… Néanmoins, le contentieux des nuisances commerçantes apparaît spécial en bien des aspects.

Un « florilège pour les sens »

Un arrêt résumant à peu près tous les désagréments potentiels d’un commerce a été récemment rendu par la Cour d’appel de Paris, le 10 décembre 2009 « : Les désagréments, liés aux bruits d’un broyeur compacteur d’emballages de déchets et d’un moteur de ventilation frigorifique, aux va-et-vient permanents des camions de livraison, aux concerts répétés de klaxons, les déclenchements intempestifs de l’alarme du magasin d’alimentation, aux odeurs nauséabondes des déchets alimentaires en putréfaction, à la présence d’ordures répandues aux abords du magasin par des tiers ou personnes nécessiteuses, excèdent par leur nature, leur fréquence, leur permanence et leur importance les troubles admissibles de voisinage auxquels on peut s’attendre en zone urbaine, même à proximité d’un magasin d’alimentation de moyenne importance. » Tout est dit, ou presque. La Cour d’appel de Paris, en 1998, a du juger d’émanations issues d’une boulangerie, que d’aucuns qualifieraient d’agréables. Elles peuvent pourtant constituer un trouble, dans le cas « d’odeurs très fortes de nature à provoquer des nausées ».

Les restaurants

Un restaurant dégage des odeurs, par la nature de son activité. C’est un préjudice indemnisable, si le trouble résulte d’une modification non réglementaire des locaux (par une décision de la Cour d’appel de 1993). Un vendeur de gaufres a pu être condamné sur cette base également. Un arrêt de la 3ème chambre civile a refusé limiter l’activité du restaurateur à la vente de boissons et de sandwiches, et de lui interdire les préparations chaudes (plus odoriférantes), du simple fait que les copropriétaires se plaignaient des odeurs. Le juge doit toujours « établir le caractère anormal des nuisances constatées pour un commerce de restauration ». Cette décision est la conséquence indirecte de la protection très forte des commerçants. La liberté du commerce et de l’industrie est une valeur chère en France. Le Conseil constitutionnel lui a donné une valeur constitutionnelle, dans sa décision du 16 janvier 1982. On comprend donc que deux droits se confrontent : le droit de propriété et le la liberté du commerce.

Les enseignes lumineuses

Les enseignes lumineuses et néons représentent une part importante du contentieux sur les troubles. Elles sont pourtant essentielles pour le commerce, car c’est ce qui attire le chaland. Sans enseigne, point de commerce, pourrait-on dire. C’est pourquoi le juge est extrêmement pointilleux à qualifier de trouble du voisinage la lumière projetée par une enseigne. Néanmoins, le juge peut demander sa suppression « lorsque par son ampleur et sa couleur, elle cause aux occupants d'un appartement de sérieux désagréments, résultant de la pénétration dans une pièce d'une vive lumière de couleur ». En centre ville, là même où se trouve concentrée la plupart des commerces, la Cour d’appel de Paris a refusé de voir dans le fonctionnement d’une pharmacie ouverte du matin jusqu’à 20 heures 30, une nuisance anormale. De même pour un commerce de restauration, car il n’avait pour « conséquence qu’une très faible modification de l’intensité lumineuse », selon un arrêt du 19 mai 2009 rendu par la Cour d’appel de Nîmes. Là encore, rien n'est tranché.

Notre conseil : Il s'agit d'être précautionneux dans la procédure. La discussion est toujours privilégiée, car elle suffit dans bien des cas d'apaiser la situation. Le recours au juge doit être vu comme le dernier recours, car les procédures sont longues, et les rapports de voisinage vont être amenés à se dégrader très rapidement.

Léo Monégier