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Fiscalité immobilier

Abus de droit fiscal: Bercy tente de rassurer sur les donations en nue-propriété

La nouvelle définition de l'abus de droit inquiète certains fiscalistes

La nouvelle définition de l'abus de droit inquiète certains fiscalistes - AFP

La nouvelle définition de l'abus de droit, contenue dans la loi de finances 2019, a suscité de vives inquiétudes. Bercy se veut rassurant sur les schémas classiques pour les particuliers.

Bercy tente de rassurer les fiscalistes et les particuliers. La nouvelle définition de l'abus de droit fiscal n'empêchera pas les donations des biens immobiliers en nue-propriété. C'est en tout cas ce qu'assure le ministère de l'Action et des Comptes publics dans un communiqué de presse diffusé le samedi 19 janvier.

"En ce qui concerne la crainte exprimée d'une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l'abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives", explique Bercy.

D'ailleurs, "la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu'elles permettent de bien préparer les successions, notamment d'entreprises, et qu'elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle", ajoute le ministère.

Cri d'alarme des fiscalistes

Depuis fin décembre, de nombreux fiscalistes tiraient pourtant la sonnette d'alarme. En effet, la définition d'un abus de droit vient de changer avec la nouvelle loi de finances pour 2019. Un amendement déposé par les députés Joël Giraud (LREM), rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée, et Bénédicte Peyrol (LREM) a étendu la notion d'abus de droit aux opérations à motivation fiscale principale et non plus exclusive.

Or, s'il était assez facile de démontrer qu'il pouvait exister d'autres raisons qu'un avantage fiscal à certains montages patrimoniaux, cette nouvelle définition pourrait provoquer une certaine incertitude juridique. A partir de quel moment un montage est-il "principalement" fiscal ? "Si cette disposition entre en vigueur (NDLR : elle sera applicable à tous les actes à compter du 1er janvier 2020), face à tout schéma juridique un tant soit peu complexe, surgira l'épineuse question de savoir si l'objectif principal est l'opération elle-même ou l'avantage fiscal qu'elle procure. De nombreuses opérations juridiques, fréquentes en pratique, que ce soit dans la sphère de l'entreprise ou auprès des particuliers, sont concernées", jugeait ainsi le Cercle des fiscalistes dans une tribune publiée dans Le Figaro.

Les juristes s'inquiétaient notamment pour les donations de biens immobiliers en nue-propriété. Un particulier peut en effet décider de faire une donation d'un bien, tout en conservant la jouissance et les revenus qui vont avec. Le donateur garde donc l'usufruit, tandis qu'il transmet la nue-propriété. Les droits de mutation sont alors prélevés sur la valeur de cette nue-propriété (et non sur celle de la pleine propriété qui comprend l'usufruit, qui serait quant à elle nécessairement plus élevée). Lorsque le donateur meurt, l'usufruit revient alors au nu-propriétaire sans avoir à régler quoi que ce soit au fisc, ce qui permet d'éviter des droits de succession. Il existe donc un avantage fiscal certain à opter pour ce type de schéma.

Vers une question prioritaire de constitutionnalité ?

Bercy se veut donc rassurant sur ce point. On rappellera cependant qu'un simple communiqué de presse n'a aucune valeur sur le plan juridique. "On aime se faire peur en France avec le droit. Mais je ne crois absolument pas que la nouvelle définition de l'abus de droit puisse présenter un risque pour un démembrement classique, qui est un droit qui existe dans le Code civil depuis 1804", estime Vital Saint-Marc, associé au cabinet d'expertise comptable, d'audit et de conseil RSM.

En revanche, il pourrait y avoir des conséquences pour des montages plus complexes. Et Vital Saint-Marc de citer par exemple la jurisprudence Despouys. Ce père de famille avait créé une société civile immobilière (SCI) avec ses deux filles. Celles-ci avaient apporté une petite somme d'argent au capital, tandis que lui avait apporté la nue-propriété d'un immeuble. Il avait ensuite fait une donation-partage de ses parts dans la SCI à ses filles, faisant ainsi baisser de façon drastique les droits de mutation. Dans un arrêt du 7 mars 2002, la cour d'appel de Paris lui avait finalement donné raison, du fait que l'opération ne présentait pas un objectif exclusivement fiscal. Car ce montage permettait d'éviter une indivision. "Avec la nouvelle définition de l'abus de droit fiscal, il n'est pas certain qu'il gagnerait aujourd'hui", analyse Vital Saint-Marc.

Quoi qu'il en soit, il y a de fortes chances qu'en l'état cette nouvelle définition de l'abus de droit fiscal finisse par se faire attaquer via une question prioritaire de constitutionnalité. En effet, la notion de but "principal" reste vague et ouvre la voie à des interprétations différentes des juges pour des situations similaires.

Jean Louis Dell'Oro