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Fiscalité immobilier

La donation d'un bien immobilier en nue-propriété bientôt impossible?

Les montages de donation en nue-propriété sont dans le viseur de Bercy

Les montages de donation en nue-propriété sont dans le viseur de Bercy - AFP

La loi de finances 2019 prévoit une nouvelle définition de l'abus de droit. Ce qui pourrait signer l'arrêt de mort de nombreux montages fiscaux.

Les experts du Cercle des fiscalistes tirent la sonnette d'alarme. Dans une tribune publiée lundi dans Le Figaro, ce think tank dénonce la loi de finances 2019 qui vient d'être adoptée. L'objet de leur courroux ? Un changement de paradigme concernant la définition d'un abus de droit en matière de fiscalité. Ce qui pourrait notamment ouvrir la voie à une remise en cause des donations de biens immobiliers en nue-propriété.

Imaginons un particulier qui décide de faire une donation d'un bien immobilier, tout en conservant l'usufruit (autrement dit la jouissance du bien immobilier et les revenus générés par ce dernier), tandis qu'il lègue la nue-propriété. Les droits de donation sont alors calculés sur la valeur transmise en nue-propriété (qui est nécessairement inférieure à celle du bien en pleine propriété). Au moment du décès, il n'y a plus rien à payer. Si ce particulier n'avait pas fait de donation, le bien aurait été transmis à sa mort au moment de la succession, et Bercy aurait alors calculé la fiscalité applicable sur la valeur totale du bien. Un montage de donation en nue-propriété permet donc de réaliser de substantielles économies d'impôts.

Nouvelle définition de l'abus de droit

Or, il suffisait jusqu'ici de montrer que ce montage avait au moins un autre motif que la réduction de la pression fiscale (comme la gestion de son patrimoine et de sa succession) pour qu'il soit validé. En effet, Bercy ne pouvait remettre en cause les montages fiscaux des contribuables seulement si ces derniers n'avaient d'autre motif "que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles", comme le précise l'article L64 du Livre des procédures fiscales.

Mais cette définition de l'abus de droit est en passe de changer avec la dernière loi de finances. Les députés Joël Giraud (LREM), rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée, et Bénédicte Peyrol (LREM) avaient ainsi déposé un amendement pour étendre la notion d'abus de droit "aux opérations à motivation fiscale principale et non plus exclusive", indiquaient-ils dans leur exposé justifiant cette mesure.

L'amendement en question a été adopté et se retrouve, via l'article 109, dans la version définitive de la loi de finances 2019 qui vient d'être votée par le Parlement. "L’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles", précise le texte.

En attendant le Conseil constitutionnel

Avec cette nouvelle définition de l'abus de droit, le Cercle des fiscalistes estime que les contribuables s'exposeront désormais beaucoup plus facilement à un redressement, notamment dans le cas d'une donation en nue-propriété. Avec un risque de pénalités (en plus des impôts initialement dus) de 40% pour manquement délibéré, voire de 80% si Bercy considère le montage comme une manœuvre frauduleuse. La mise en œuvre de ce changement de taille doit intervenir à partir du 1er janvier 2020.

Les schémas d'optimisation fiscale en matière patrimoniale sont donc sur la sellette. "Si cette disposition entre en vigueur, face à tout schéma juridique un tant soit peu complexe, surgira l'épineuse question de savoir si l'objectif principal est l'opération elle-même ou l'avantage fiscal qu'elle procure. De nombreuses opérations juridiques, fréquentes en pratique, que ce soit dans la sphère de l'entreprise ou auprès des particuliers, sont concernées", juge le Cercle des fiscalistes dans leur tribune.

La mesure pourrait toutefois être retoquée par le Conseil Constitutionnel. Ce ne serait pas la première fois puisqu'une disposition similaire avait déjà été rejetée en 2013 par ce dernier.

Jean Louis Dell'Oro