BFM Immo
Fiscalité immobilier

Les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel sur la suppression de la taxe d'habitation

Siège du Conseil constitutionnel à Paris

Siège du Conseil constitutionnel à Paris - AFP

Dans la droite lignée des revendications des collectivités locales, des députés et des sénateurs de l'opposition ont saisi le Conseil constitutionnel. Les Sages sont invités à se pencher sur les mécanismes compensant pour les communes et les départements la suppression de la taxe d’habitation.

La suppression à venir de la taxe d'habitation pour les résidences principales cristallise les tensions chez les parlementaires de l'opposition. Comme l'a dévoilé lundi le journal Les Echos, les parlementaires socialistes et Les Républicains (LR) ont saisi le 20 décembre le Conseil constitutionnel sur la loi de Finances pour 2020 qui vient d'être définitivement adoptée. Dans le détail, il y a trois saisines: une première provient d'un groupe d'au moins 60 députés socialistes ou apparentés, une deuxième d'un groupe d'au moins 60 députés LR, et enfin une troisième d'un groupe d'au moins 60 sénateurs LR. Parmi les mesures visées par les députés et les sénateurs, la suppression de cet impôt local en 2023 pour l'ensemble des ménages qui a été entérinée par le Budget 2020.

Pour rappel, la suppression de la taxe d'habitation sera complète pour 80% des ménages l'an prochain. Ces foyers avaient bénéficié d'un dégrèvement de 30% en 2018, puis de 65% en 2019, avant donc un dégrèvement de 100% en 2020. La taxe d'habitation sur les résidences secondaires, elle, demeure. Mais il restait à acter la fin de cet impôt local sur les résidences principales pour les 20% de ménages les plus aisés, comme promis par le gouvernement. Celle-ci se fera là encore en trois fois. Un premier dégrèvement de 30% sera appliqué en 2021 pour ces ménages, puis un deuxième de 65% en 2022 avant une suppression totale en 2023.

>> Téléchargez gratuitement notre guide Loi Pinel

Un mécanisme de compensation complexe

Selon les calculs du président de Fipeco François Ecalle réalisés à partir du rapport des évaluations préalables pour le projet de loi de finances, en 2021, le coût de la suppression de la taxe d'habitation sera "d’environ 18,0 milliards d'euros, à la fois pour l’Etat et pour l’ensemble des administrations publiques, dont 10,2 milliards d'euros pour les 80% de ménages les moins aisés et 7,8 milliards d'euros pour les autres", précise-t-il dans une note de novembre dernier.

L'Etat est censé compenser à l'euro près la disparition de cette recette essentielle pour les collectivités locales. Dans les grandes lignes, le Budget 2020 prévoit d'affecter la part départementale des recettes de la taxe foncière sur les propriétés bâties aux communes, soit environ 15 milliards d'euros par an. Les départements recevront quant à eux une fraction de TVA pour compenser ce transfert. Il y aura également une dotation particulière pour les communes et éviter qu'il y ait des villes perdantes avec cette réforme. Enfin, une fraction de TVA sera aussi affectée aux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale).

Une "perte d'autonomie fiscale"

Pour les députés socialistes et apparentés qui ont saisi le Conseil constitutionnel, le système de compensation prévu est contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Dans leur saisine, les sénateurs LR pointent du doigt les risques d'érosion des recettes fiscales sur le long terme pour les départements. Selon leurs calculs, si la réforme avait été appliquée depuis 2005 avec les systèmes de compensation actuellement prévus, le manque à gagner pour les départements aurait atteint 4,4 milliards d'euros en 2017 par rapport à ce qu'ils ont effectivement touchés. Car les recettes de TVA ont progressé moins rapidement que la taxe foncière. Les sénateurs s'inquiètent aussi du fait que la TVA est "une recette sensible à la conjoncture et qu'en cas de crise, comme en 2009, les départements pourraient voir leurs ressources chuter brutalement". Ils évoquent là encore "une perte d’autonomie fiscale" et une autonomie financière "fortement diminuée", ce qui "méconnaît donc le principe de libre administration des collectivités territoriales".

Vérifier tous les ans le niveau des compensations

Enfin, les députés LR estiment également (dans leur saisine disponible ici) que la suppression de cette taxe et les compensations prévues remettent en cause l'"autonomie financière propre à garantir le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales". Les députés réclament notamment que le Parlement puisse "vérifier annuellement si les conditions constitutionnelles de la libre administration des collectivités territoriales, y compris dans sa composante financière, sont remplies".

Sur les transferts de fiscalité nationale (comme la TVA), les députés LR s'interrogent sur la qualification de ces derniers de "ressources propres", alors que "les collectivités territoriales n’ont ni maîtrise de l’assiette, des taux, des modalités d’exonération ou du montant global". Ensuite, si la compensation prévue par l'Etat peut être bonne en 2023, rien ne garantirait que ce soit le cas à plus long terme. Selon les députés, l'Etat part "du principe que les transferts et compensations opérées sont exactes dès l’origine et que l’évolution des missions à charge des collectivités ne justifient pas d’autres évolutions dans le temps que la prise en compte de l’inflation, de l’érosion monétaire ou de l’évolution de certains indicateurs macro-économiques". Les collectivités, elles, estiment que cela dépendra de "l’évolution des besoins des populations, des circonstances démographiques et économiques", en particulier si l'Etat se désengage de certaines missions au profit des collectivités.

Le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision sur la constitutionnalité du Budget 2020 d'ici la fin de la semaine.

Jean Louis Dell'Oro