BFM Immo
Fiscalité immobilier

Taxe d'habitation: le gouvernement a-t-il le droit de ne faire payer que 20% des foyers?

Le Conseil constitutionnel a validé la réforme de la taxe d'habitation fin 2017

Le Conseil constitutionnel a validé la réforme de la taxe d'habitation fin 2017 - AFP

Le gouvernement n'est pas encore sûr que la taxe d'habitation sera supprimée pour tout le monde en 2021. Est-ce un motif de rupture d'égalité de traitement entre les citoyens ? Décryptage.

Cafouillage au gouvernement concernant la taxe d'habitation pour les ménages les plus aisés. "On peut très bien demander aux Français s’ils estiment que pour les 20% les plus riches, il est légitime ou non de supprimer la taxe d’habitation", avait souligné le ministre de l'Économie Bruno Le Maire sur Europe 1 dimanche 6 janvier. Lundi, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a enfoncé le clou, expliquant que la possibilité de maintenir cet impôt local pour 20% des ménages était "sur la table". Mais Bruno Le Maire, ce mardi, a finalement assuré qu'il fallait "aller au bout de la suppression". Il affirme avoir déclaré: "J'ai redit dimanche qu'il fallait aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation. Aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation cela veut dire aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation".

Pour rappel, le gouvernement a engagé dans la loi de finances pour 2018 la suppression progressive de la taxe d'habitation sur la résidence principale (mais pas sur les résidences secondaires) pour 80% des foyers. Un premier dégrèvement de 30% s'est appliqué aux ménages concernés en 2018, bien que certains contribuables aient eu de mauvaises surprises. Ce dégrèvement passera à 65% en 2019 avant une suppression totale de la taxe pour 80% des foyers en 2020. Il s'agissait d'une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.

Mais le 24 novembre 2017, lors de son discours au 100e Congrès des maires de France, le président de la République amorce l'idée d'une suppression totale de la taxe d'habitation pour tout le monde. "Si cet impôt est mauvais pour 80 % des citoyens français il y a peu de chance qu’il soit bon pour les 20 % restants", avait-il alors reconnu. Une suppression confirmée par la suite fin décembre 2017 par Emmanuel Macron, sans que ce ne soit inscrit dans un texte pour autant, quelques jours après la validation de la loi de finances par le Conseil constitutionnel.

Principe d'égalité devant les charges publiques

A l'époque, la question de la constitutionnalité de la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages était soulevée. Il y aurait pu y avoir une rupture dans le principe d'égalité de tous devant les charges publiques, notamment défini par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui a valeur constitutionnelle. Le législateur ne peut en effet déroger à ce principe que pour des raisons d'intérêt général.

Des députés et des sénateurs avaient donc saisi le Conseil constitutionnel sur ce sujet. Ils soulignaient notamment le fait qu'avec la réforme prévue par la loi de finances 2018, la taxe d'habitation ne pèsera plus à terme que sur une minorité de contribuables, et que dans certaines communes, elle pourrait n'être acquittée que par un nombre extrêmement restreint de ménages qui supporteraient exclusivement la hausse de cette fiscalité par la suite. Mais dans sa décision du 28 décembre 2017, le Conseil constitutionnel avait tranché : "sans préjudice de la possibilité pour le Conseil constitutionnel de réexaminer ces questions en fonction notamment de la façon dont sera traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d'habitation dans le cadre d'une réforme annoncée de la fiscalité locale, le grief tiré de la méconnaissance, par les dispositions contestées, de l'égalité devant les charges publiques doit être écarté". Les modalités retenues par le gouvernement (notamment le fait que cette suppression dépende d'un revenu fiscal de référence défini en fonction du nombre de parts fiscales) n'ont ainsi pas été jugées anticonstitutionnelles. Par ailleurs, ces dégrèvements ne faisaient finalement que s'ajouter à des dégrèvements et exonérations déjà existants.

Grand débat sur la fiscalité locale à venir

Est-ce que cette décision pourrait être remise en cause si la taxe d'habitation devait finalement ne pas être supprimée pour les 20% de foyers considérés comme les plus aisés ? A priori non. "Dans la mesure où la réforme de la taxe d'habitation a déjà passé le filtre du Conseil constitutionnel, le problème de son inconstitutionnalité ne se pose plus. Y compris via une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) car cela ne changera rien au fond en matière de droit", juge Pascal Jan, professeur en droit constitutionnel.

"Oui, il n’y a plus de débat sur la constitutionnalité de la mesure", confirme Virginie Pradel, avocate fiscaliste et fondatrice de l’institut Vauban, un think tank dédié à la fiscalité. "Même si le Conseil constitutionnel s’autorise à revoir sa position en fonction des modalités d’application pour les 20% de contribuables restant".

"Cette réforme a donné un avantage à une majorité de contribuables au sujet d'un impôt déjà existant. Le Conseil constitutionnel a donc estimé qu’il n’y avait pas de raison de la retoquer. En revanche, si un gouvernement soumettait à une faible partie des contribuables un nouvel impôt local, il n'est pas sûr que le Conseil constitutionnel le validerait. C'est davantage dans ce sens qu'il y aurait aujourd’hui un risque juridique", ajoute Pascal Jan.

Les contribuables devraient en savoir plus à l'occasion du débat sur la fiscalité locale qui doit normalement s'ouvrir au printemps prochain.

Jean Louis Dell'Oro