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Les centres commerciaux américains vont-ils survivre à la crise?

L'American Dream avait mis 20 ans à sortir de terre

L'American Dream avait mis 20 ans à sortir de terre - Kena Betancur - AFP

En situation précaire depuis quelques années, les centres commerciaux américains doivent maintenant faire face à des clients qui désertent et des boutiques qui peinent à payer leur loyer.

Les centres commerciaux américains commencent à rouvrir leurs portes, mais ils devront convaincre les clients d'arpenter de nouveau leurs allées désormais vidées de nombreux magasins, la pandémie ayant donné le coup de grâce à certaines enseignes en difficulté. Ces temples de la consommation, dont la situation était déjà précaire depuis plusieurs années, doivent désormais faire face à des difficultés en cascade, et beaucoup pourraient ne pas survivre.

Se promener au milieu de personnes masquées et avec une odeur d'eau de javel, dans des allées parfois fantômes, a en effet de quoi décourager les plus téméraires. Car beaucoup de boutiques vont se retrouver vides: le confinement a précipité les faillites de chaînes de vêtements comme J. Crew ou l'emblématique JC Penney mais aussi de luxe comme Neiman Marcus. La chaîne de lingerie Victoria's Secret, très prisée au début des années 2000 mais désormais confrontée à des difficultés financières, a annoncé la fermeture de 250 magasins en Amérique du Nord, et a averti que d'autres pourraient suivre dans les deux prochaines années.

Au bord du gouffre

Quant aux grands magasins, qui attiraient autrefois les consommateurs vers les "malls", mais peinent à garder la tête hors de l'eau depuis l'essor des ventes sur internet, ils sont désormais au bord du gouffre financier. La chaîne Macy's, qui avait annoncé avant même la pandémie la fermeture de 125 magasins, a dû placer ses 130.000 employés en chômage technique à partir de mars. La perte attendue au premier trimestre pourrait dépasser le milliard de dollars. La crise du Covid-19 "accélère de plusieurs années la chute des détaillants", selon un rapport de Green Street Advisors qui prévoit que plus de la moitié des grands magasins en centre commercial fermeront d'ici 2021. Et pour les gérants de centres commerciaux, ces fermetures ne sont que le début des soucis: les enseignes qui restent peuvent, dans la plupart des baux, demander un allègement de leur loyer lorsque plusieurs magasins phares s'en vont.

Ces rescapés peuvent aussi user des clauses de "force majeure" ou "acte de Dieu" ("Act of God") pour justifier du non-paiement de leur loyer, ce qui pourrait entraîner une vague de litiges. Retail Properties of America, une société d'investissement immobilier basée dans le Maryland (est) qui possède plus de 100 centres commerciaux, n'a perçu que 52% de ses loyers d'avril, et même moins de 10% de la part des chaînes de vêtements, librairies et cinémas. Le gérant de centres commerciaux Acadia Realty Trust n'a touché que la moitié de ses loyers en avril. Ceux qui ont été en mesure de payer sont les magasins alimentaires, restés ouverts, comme Target ou Trader Joe's. Toutefois, parmi la moitié qui n'a pas pu s'acquitter de son loyer, 5 à 10% seulement des locataires sont considérés comme "à surveiller", a relevé le PDG Kenneth Bernstein lors d'une conférence téléphonique.

La nécessité de garder ces coûteuses boutiques?

La crise devrait ainsi être fatale à un certain nombre de centres commerciaux, avertit Nick Shields, analyste au cabinet de conseil Third Bridge. Ceux qui accueillent des enseignes comme Apple et Nike feront mieux, avance-t-il, mais le coup porté aux sociétés immobilières par les pertes de loyers sera "significatif". Les Américains, frustrés pendant le confinement, auront envie de retrouver leurs magasins lorsqu'ils rouvriront.

Mais "la grande question est de savoir si les consommateurs seront prêts à retourner en intérieur de sitôt", a souligné Nick Shields. Selon lui, il pourrait s'écouler plusieurs mois avant qu'ils ne se sentent de nouveau à l'aise dans une cabine d'essayage. Et se posera alors la question, pour les enseignes, de la nécessité de garder ces coûteuses boutiques, face aux ventes sur internet. "Nous pourrions ne pas avoir besoin d'autant de magasins physiques pour pouvoir survivre", relève Maghan Oroszi, responsable des opérations du bijoutier Mignon Faget, dont les trois boutiques de Louisiane ont pu rouvrir début mai. Elles ont enregistré des ventes plus faibles que la normale, mais les ventes en ligne ont augmenté.

(Avec AFP)

D. L.