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Le quartier Saint-Jacques de Perpignan, l'un des plus pauvres de France, va-t-il être rasé?

Des logements sont détruits dans le quartier Saint-Jacques.

Des logements sont détruits dans le quartier Saint-Jacques. - AFP

Un bras de fer oppose la mairie et les habitants de ce quartier "gitan". Des immeubles auraient été détruits sans même que les locataires puissent récupérer leurs affaires.

"On m'a dit partez quelques jours, ne vous inquiétez pas". Dans le 15 m² où elle a été relogée, Dolores Moreno ressasse avec colère cette journée de 2016 où la pelleteuse a dévoré sa maison, dans le quartier "gitan" de Saint-Jacques, à Perpignan. Et l'histoire de la septuagénaire est loin d'être un cas isolé. Depuis plus d'un an, un bras de fer sur l'avenir de Saint-Jacques oppose la municipalité de cette ville au pied des Pyrénées à des militants de sauvegarde du patrimoine et habitants du quartier, considéré comme l'un des plus pauvres de France.

Peuplé d'environ 4.000 âmes, Saint-Jacques possède une identité singulière: dans ce quartier construit à partir du 13e siècle à l'initiative des rois de Majorque, cohabitent l'une des plus importantes communautés gitanes sédentarisées d'Europe - installées progressivement à partir du 19e siècle -, une population d'origine maghrébine et d'autres familles catalanes. "Au cours des quatre dernières années, 82 immeubles ont été détruits dans le centre ancien de Perpignan, classé en secteur sauvegardé", et 60 autres sont voués au même sort, alerte Jean-Bernard Mathon, spécialiste du patrimoine de la région.

"Des destructions illégales"

"Ce sont des destructions illégales pour la plupart", accuse cet ancien président de l'Association pour la sauvegarde du patrimoine roussillonnais (Aspahr), soulignant que 20 de ces immeubles devaient être "absolument conservés" compte tenu de leur valeur architecturale. "Et le reste aurait dû être remplacé, mais rien n'a été fait". En arpentant ses ruelles étroites, où les immeubles roses, rouges ou jaunes de deux ou trois étages forment une trame régulière, le regard est troublé par d'énormes poutres en fer aux endroits où des démolitions ont eu lieu.

Fervent défenseur d'une "restructuration" du quartier, le maire LR de la ville Jean-Marc Pujol met, lui, en avant "la sécurité" des habitants et sa volonté de combattre "l'insalubrité et les risques d'effondrement", grâce au Plan national de rénovation urbaine, doté de 130 millions d'euros pour le centre ancien de Perpignan. "Nous sommes extrêmement vigilants pour éviter que ne se reproduisent des catastrophes comme récemment à Marseille", dit-il à l'AFP, soulignant que depuis 2014, 42 procédures de péril ont été engagées, ainsi que 216 arrêtés d'insalubrité.

Pour lui, la seule solution dans ces cas-là est de faire du neuf. "Ceux qui disent que l'on peut réhabiliter mentent. Dans les quartiers bobos de Paris, vous pouvez facilement vendre un appartement réhabilité à 8.000 le m², à Perpignan ce n'est pas possible", affirme-t-il.

Mur porteur enlevé par erreur

Sur les hauteurs de la place du Puig, sorte d'agora du quartier, la mobilisation inédite des habitants en juillet 2018 a permis de stopper net la pelleteuse déjà à l'oeuvre. Aujourd'hui, l'îlot éventré apparaît comme une plaie béante, voué tôt ou tard à la destruction. "Il est vrai qu'un immeuble de cet îlot s'était effondré en 2006, pas à cause de sa supposée insalubrité, mais bien parce qu'un mur porteur avait été enlevé par erreur lors de travaux", soutient Bernard Cabanne, un architecte qui travaille depuis une trentaine d'année sur la rénovation du centre ancien de Perpignan.

Et il est catégorique: "sur l'ensemble des îlots, c'est une très bonne construction, très solide avec de bons matériaux --galets, chaux, briques--. À aucun moment, il n'y a lieu de détruire". L'architecte convient qu'une réhabilitation coûterait peut-être plus chère qu'un habitat neuf, "Mais quel habitat neuf? Des blocs en béton, alu, polystyrène et PVC?", s'interroge-t-il.

Dans le quartier, ces débats techniques semblent nettement moins intéresser les habitants, qui se sentent surtout mis à l'écart du projet et méprisés par les autorités. "On était informés (des projets concernant Saint-Jacques, ndlr) d'une façon qui ne nous convenait pas. On était très inquiets, les enfants ne dormaient plus", confie Nick Gimenez, l'un des patriarches de la communauté gitane.

"Ramener de la mixité"

Dolores Moreno, elle, ne se remet pas du "traumatisme" d'avoir tout perdu. "Non seulement ils ont détruit ma maison, mais ils ne m'ont même pas laissé le temps de récupérer tout ce qu'il y avait à l'intérieur: mes meubles, mes bijoux, mes photos", énumère-t-elle, la voix tremblante. "Quand on détruit une maison, on détruit un patrimoine familial, on créé une psychose dingue", témoigne de son côté Bernard Cabanne.

Si Nick Gimenez se dit aujourd'hui "rassuré" sur les intentions de la mairie, son neveu, lui, n'en croit pas un mot. Comme de nombreux habitants de la communauté, Alain Gimenez --dit "Nounours"--, l'un des leaders de la contestation dans le quartier, est convaincu que la municipalité cherche à les "dégager d'ici" en adoptant une "stratégie de pourrissement".

"Ils déclarent insalubres nos logements, les rachètent à prix cassé, puis les laissent pourrir pour justifier leur démolition", lance-t-il, assurant que, dorénavant, ils ne se laisseront "pas piéger comme d'habitude". Le maire dément catégoriquement cette accusation, même s'il assume vouloir "ramener de la mixité" à Saint-Jacques, qui fut longtemps "un quartier de commerçants et d'artisans". A quelques mois des élections municipales, le "casse-tête" Saint-Jacques à Perpignan n'a pas fini de faire des remous.

(Avec AFP)

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