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Combien de copropriétés sont-elles mal entretenues ou dangereuses en France?

Plusieurs immeubles vétustes se sont effondrés à Marseille.

Plusieurs immeubles vétustes se sont effondrés à Marseille. - Loïc Aedo - AFP

L'effondrement de trois logements à Marseille a relancé le débat sur l'état du parc de logements à Marseille. Et elle pose la question plus générale de la situation des copropriétés en France.

L'effondrement de trois immeubles vétustes du centre de la cité phocéenne a relancé le débat sur l'habitat insalubre à Marseille et plus généralement en France. Dans la ville, selon un rapport de Christian Nicol, inspecteur général honoraire de l'administration du développement durable, remis au gouvernement en 2015 à la demande de la ministre du Logement de l'époque Sylvia Pinel, le "parc privé potentiellement indigne" présente "un risque pour la santé ou la sécurité de quelque 100.000 habitants". 40.000 logements sont concernés dans la cité phocéenne, soit 13% du parc des résidences principales. "Parmi les logements potentiellement indignes, 78% concernent les locataires du parc privé et 30% des ménages âgés (plus de 60 ans) (...) Parmi les 20.000 copropriétés présentes à Marseille, on estime que 6000 d’entre elles sont fragiles, dont une grande partie située dans le centre ancien et les quartiers Nord", précise le rapport.

Ces proportions ne sont vues "nulle part ailleurs en France", déplore Florent Houdmon, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre (Fap). "C'est le résultat de décennies d'inaction publique". L'habitat indigne désigne des logements dangereux, dans des immeubles menaçants de s'effondrer, mais aussi des habitations insalubres, qui peuvent affecter la santé des résidents. Pour la Fap, l'effondrement soudain de ces immeubles à Noailles, un quartier populaire et métissé à deux pas du Vieux-Port, est en lien direct avec "la défaillance totale, dès le repérage, des pouvoirs publics".

Arrêté de péril

Deux des trois immeubles qui se sont écroulés lundi étaient murés et théoriquement inhabités. L'un d'eux, au numéro 63 de la rue d'Aubagne, frappé par un arrêté de péril, avait fini par être entièrement acquis par la mairie au bout de 10 ans de démarches, a rappelé lundi sur place l'adjointe à l'urbanisme Arlette Fructus, déplorant les procédures judiciaires engagées par les propriétaires pour éviter l'expropriation.

Selon le site d'investigation local Marsactu, après cet arrêté de péril pris il y a plus de 10 ans, "la ville avait inscrit le n°63 dans la liste des 500 immeubles visés par le plan d'éradication de l'habitat indigne (EHI) et confiés à deux opérateurs". La mairie envisageait notamment d'y aménager une micro-crèche, dans le cadre d'un vaste plan de réaménagement du centre-ville sur 15 ans. L'immeuble mitoyen, le numéro 65, qui s'est lui aussi effondré lundi matin, était occupée par une copropriété de 10 appartements. Pourtant, depuis 2007, les signaux d'alerte se multipliaient: effondrement du plafond du hall d'entrée, fissures inquiétantes... Un expert agréé auprès du tribunal avait visité l'immeuble le 18 octobre sans préconiser de l'évacuer.

Dans le quartier de Noailles, de nombreux immeubles sont dans un état inquiétant. Dans des documents publiés en janvier 2018, la Société locale d'équipement et d'aménagement (Soleam), justement chargée de mettre en oeuvre le réaménagement du centre-ville, y décrivait "une forte dégradation du bâti notamment liée à la vétusté des immeubles". Elle a conclu: "Sur les 3.450 logements recensés, le diagnostic a mis en évidence que 48% des immeubles, soit environ 1.600 logements, sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé". Noailles ne compte que 5% de logements sociaux selon la Soleam, mais un important "parc privé dégradé" incluant des "taudis".

Processus de fragilisation des copropriétés

Plus généralement en France, des copropriétés inquiètent les pouvoirs publics. La loi Alur de 2014 oblige toutes les copropriétés à être immatriculées au registre national des copropriétés. Ce registre vise à recenser les copropriétés à usage d'habitat. Ces données servent ensuite, pour l'État, à avoir une meilleure connaissance du parc de copropriétés en France ou mieux appréhender les processus de fragilisation des copropriétés. Aujourd'hui, 68% des copropriétés ne sont pas encore enregistrées. Le registre dénombre ainsi pour l'instant 253.895 copropriétés sur l'ensemble de la France.

Parmi elles, 224 font l'objet d'un arrêté. Cela vise la remise en l'état ou le remplacement des équipements communs des immeubles collectifs à usage principal d'habitation. 49 copropriétés font l'objet d'un mandat ad hoc. Cela signifie que quand une copropriété rencontre des difficultés financières (seuil de 15% d'impayés pour les copropriétés de plus de 200 lots et 25% pour les autres), un mandataire peut être désigné pour dresser un état des lieux et trouver des solutions visant à rétablir l'équilibre financier. Et enfin 303 sont sous administration provisoire. Un administrateur est désigné lorsque le syndicat des copropriétaires n'est plus en mesure d'assurer la conservation de l'immeuble ou la sécurité des occupants. En tout, 576 copropriétés présentent donc aujourd'hui des signes de faiblesse, soit plusieurs milliers de logements, dont 100 copropriétés qui font l'objet de plusieurs procédures (arrêté, mandat ad hoc et/ou sous administration provisoire). Des chiffres qui pourraient encore grimper lorsque toutes les copropriétés seront inscrites au registre national et auront transmis leurs informations aux autorités.

Une situation qui semble se dégrader

Des difficultés qui entraînent une multiplication des procédures judiciaires. Dans une étude publiée début 2016, la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la Justice constatait une forte hausse des contentieux générés par les copropriétés. De 2004 à 2014, les demandes auprès des tribunaux contre les copropriétaires qui n'étaient pas à jour de leurs charges avaient progressé de 38%, passant de 21.400 à 29.400 sur la période.

Plus globalement, dans un article du Monde daté de 2016, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (Anah) estimait que 100.902 immeubles en copropriété en 2011, soit 1.133.000 logements, étaient en difficulté (bâtiment en mauvais état, volume important d'impayés, taux de résidents pauvres élevé, ...), soit 15,5% du parc des copropriétés. Des chiffres qui servaient encore de référence pour le plan triennal pour les copropriétés fragiles et en difficulté 2015-2018.

Conscient du problème, le ministère de la Cohésion des Territoires a annoncé début octobre que l'État engagera 2,5 milliards d'euros au cours des dix prochaines années pour soutenir, voire aider à reconstruire les copropriétés les plus en difficulté. Près de 700 copropriétés ont été identifiées, ce qui représente plus de 50.000 logements.

Diane Lacaze