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L'étonnant pacte entre la police et les bailleurs sociaux du Val-d'Oise pour se débarrasser des dealers

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - Philippe Huguen - AFP

En mai 2018, dans le Val-d'Oise, le préfet, le procureur et des bailleurs sociaux ont signé une convention. En cas d'infraction grave ou récurrente aux règlements intérieurs - incivilités, trafic, occupation des parties communes -, les signalements remontent automatiquement aux autorités, qui "disposent d'une réquisition permanente" dans les cités. Près d'un an plus tard, "une quinzaine de dossiers sont en voie d'aboutir à une expulsion", décompte le préfet Jean-Yves Latournerie.

"Les voyous, on va les expulser. Avec leurs familles s'il le faut." Dans le Val-d'Oise, police, justice et bailleurs sociaux ont scellé une union sacrée contre les dealers qui "pourrissent" la vie du parc social où loge un quart des 1,2 million d'habitants de ce département de grande banlieue.

L'idée a germé début 2018 dans le cadre de la police de sécurité du quotidien (PSQ), réforme lancée en grande pompe par le gouvernement et dont ce territoire est un des laboratoires, avec des villes comme Sarcelles, Garges-lès-Gonesse ou Argenteuil. "Où y a-t-il le plus de délinquants? Dans les HLM. Où y a-t-il le plus de victimes de ces délinquants? Dans les HLM", résume Frédéric Lauze, le chef de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP). "Mais la police ne peut pas tout, il fallait s'appuyer sur les bailleurs. Et se donner les moyens d'expulser de leur logement, avec leur famille s'il le faut, ceux qui prennent des barres entières (de HLM) en otage. Jusqu'ici, on ne savait pas faire, les procédures n'aboutissaient pas", explique-t-il.

Un commandant de police réserviste joue les chefs d'orchestre

En mai 2018, le préfet, le procureur et dix bailleurs sociaux se sont donc mis autour d'une table pour signer une convention. Clé de voûte du dispositif : les règlements intérieurs des résidences, modernisés, dont l'application est rendue obligatoire. En cas d'infraction grave ou récurrente - incivilités, trafic, occupation des parties communes -, les signalements remontent automatiquement aux autorités, qui "disposent d'une réquisition permanente" dans les cités. Dans chaque organisme HLM, un correspondant "tranquillité-sécurité" assure le lien avec les forces de l'ordre. La DDSP du Val-d'Oise a de son côté recruté un commandant de police réserviste pour jouer les chefs d'orchestre.

Mais la grande nouveauté, c'est que l'information circule dans les deux sens. Les organismes HLM peuvent désormais obtenir, sous le contrôle du parquet, des données confidentielles concernant les fauteurs de troubles : mains courantes, jugements... De quoi déposer des dossiers "étayés" sur le bureau du juge civil, habilité à prononcer une résiliation du bail pour "trouble de jouissance".

Près d'un an plus tard, "une quinzaine de dossiers sont en voie d'aboutir à une expulsion", décompte le préfet Jean-Yves Latournerie, selon qui la démarche est une première sur le territoire. Et plus de 20 organismes HLM ont posé leur paraphe sur ce protocole. Des initiatives concertées "existent ailleurs mais, dans le Val-d'Oise, on innove avec une vision globale et en allant plus loin dans l'échange d'informations", estime le procureur, Eric Corbaux, qui note par ailleurs une hausse alarmante de la délinquance des mineurs (+18% en 2018) dans le département.

"Ils savent que la police va intervenir"

De fait, les expulsions de familles de dealers du parc social français sont rares et longues à aboutir. En mai 2018, cinq familles avaient été sommées de quitter leur logement dans le nord de Paris à la suite d'une décision de justice, point final d'une lutte de dix ans contre le trafic de crack dans une cité. La même année, un office HLM de l'Oise était allé jusqu'à la cour d'appel d'Amiens pour obtenir le droit de résilier le bail d'une mère de Compiègne dont les enfants avaient été condamnés pour trafic de drogue. "Pas mal de gardiens étaient en retrait face à des délinquants parfois dangereux. Maintenant il se sentent plus à l'aise car ils savent que la police va intervenir", souligne le préfet. "Pour lutter efficacement contre la délinquance, il faut faire en sorte que les gens n'aient plus peur de dénoncer".

Brahim Terki, directeur délégué chez AB Habitat - 12.000 logements, dont 8.000 à Argenteuil - fait exécuter des "expulsions pour troubles" depuis 1992 et dit être "un des rares bailleurs en France à obtenir des résultats", sans s'en enorgueillir car "c'est toujours un échec" d'expulser quelqu'un, dit-il. Mais la convention signée avec le procureur a, selon lui, grandement simplifié la donne. "Il y a plein de gens très bien qui attendent un logement. Quand on fait du trafic, qu'on est nourrice (personne qui cache la drogue moyennant finance, NDLR), on gagne suffisamment bien sa vie pour se loger dans le parc privé", estime le bailleur. Dans le Val-d'Oise, plus de 60.000 personnes sont en attente d'un logement social.

(Avec AFP)

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