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Crédit immobilier: les autorités demandent aux banques de calmer le jeu

Les autorités recommandent aux banques de limiter à 25 ans les crédits immobiliers

Les autorités recommandent aux banques de limiter à 25 ans les crédits immobiliers - Philippe Huguen - AFP

Le Haut Conseil de stabilité financière recommande que les durées de crédit ne dépassent pas 25 ans. Par ailleurs, il souhaite que les remboursements ne représentent pas plus d’un tiers des revenus du ménage. Mais ces mesures ne sont pas pour l'instant contraignantes.

Le marché des crédits immobiliers, à un niveau jamais vu en France, s'emballe-t-il trop? Inquiètes du degré auquel les ménages semblent prêts à s'endetter, les autorités financières demandent aux banques de limiter leur offre, sans franchir encore le cap de mesures restrictives. Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), qui rassemble notamment le ministère de l'Economie et la Banque de France, a recommandé aux banques de ne pas octroyer de crédit immobilier sur plus de 25 ans. Il leur demande aussi de ne pas accepter de dossiers dans lesquels les remboursements représenteraient plus de 33% des revenus du ménage.

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"Nous avons pris aujourd'hui (...) des mesures de sagesse et de prévention", a déclaré François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans un communiqué transmis à l'AFP. "Elles vont protéger les ménages français des risques d'un endettement excessif dû à leur emprunt immobilier, tout en préservant leurs capacités d'accession à la propriété."

Dans le détail, le plafonnement du taux d'endettement est donc conseillé à un tiers des revenus. Le Haut Conseil rappelle qu'aujourd'hui 28% de la production de crédits affiche des taux d'effort supérieur à 35%. Or, ce sont essentiellement des ménages aisés qui sont dans cette situation, car les banques se focalisent également sur le "reste à vivre", comme nous l'expliquions ici. Même si du côté du Haut Conseil, on assure qu'il n'y a pas que de riches emprunteurs avec un taux d'effort supérieur à 35%.

L'autre élément sur lequel le HCSF s'est penché, c'est l'allongement de la durée des prêts. Pour éviter l'emballement, il appelle les banques à ne plus prêter sur des durées supérieures à 25 ans. Au dernier trimestre, 40,6% de la production de crédits concernait des prêts à 25 ans ou plus, selon les données de l'observatoire Crédit Logement CSA.

Ces annonces marquent un tournant pour les autorités financières, qui affichaient jusqu'alors leur sérénité face à un marché français du logement en plein essor. Celui-ci profite de conditions de crédit extrêmement favorables, elles-mêmes alimentées depuis des années par la politique interventionniste de la Banque centrale européenne (BCE), qui pratique des taux nuls voire négatifs. Les taux des crédits immobiliers français sont eux-mêmes à leur plancher historique, à 1,12% en novembre toutes durées confondues, selon les données de l'observatoire Crédit Logement CSA.

C'est, grosso modo, semblable à l'inflation, ce qui revient presque à dire que l'on peut gagner du pouvoir d'achat en empruntant. Les durées de remboursements s'étalent fréquemment sur des décennies et le montant total des sommes empruntées a dépassé l'an dernier la barre des 1.000 milliards d'euros.

Crainte d'un ralentissement du niveau de la consommation

Ces conditions historiques contribuent à porter le marché du logement à incandescence: le nombre annuel de transactions vient de passer le million dans l'ancien et les prix augmentent régulièrement depuis 2015. Dans ce contexte, les autorités financières se préoccupent maintenant ouvertement du degré d'endettement des ménages en matière de crédit immobilier. Un rapport du HCSF avait donné le ton à l'automne, signalant "une augmentation des pratiques a priori les plus risquées" chez les banques, qui tendent à accepter des prêts de plus en plus lourds pour les ménages, et sur une durée de plus en plus longue. Les autorités ne redoutent pas que les ménages échouent massivement à rembourser leur dette. Ce qu'elles craignent, c'est un ralentissement général du niveau de la consommation, à laquelle les particuliers auraient moins de revenus à accorder.

En formulant de simples recommandations, le HCSF renonce d'ailleurs à imposer pour l'heure des règles plus strictes. Il laisse même une certaine marge aux banques pour s'éloigner de ces critères, notamment pour les particuliers qui achètent leur premier logement. Le haut conseil estime ainsi que jusqu'à 15% de la production des crédits pourraient ne pas respecter ces critères. Mais il n'exclut pas de passer par la contrainte, alors qu'un durcissement inquiète plusieurs acteurs du secteur. Il a deux outils à sa disposition : un renforcement des exigences prudentielles ciblées sur les crédits en dehors de ces "règles de bonne conduite" ou alors, tout simplement, le fait de rendre ces règles obligatoires. Si l'une ou l'autre de ces menaces devait être mise à exécution, ce serait tranché durant le second semestre 2020, précise-t-on au sein du Haut Conseil, selon les informations de BFM Business.

Des courtiers qui ne voient pas l'utilité des mesures

Les banques, dont la réglementation a déjà été renforcée ces dernières années au niveau international, sont restées discrètes, mais les courtiers en crédit, qui profitent pleinement de la demande de prêts immobiliers, ont vivement défendu leur modèle ces dernières semaines. Meilleurtaux a immédiatement réagi. "Ces recommandations visent principalement le taux d'endettement, or pour nous c'est sans objet car dans les faits les établissements de crédit respectent toujours un ratio d'endettement (mensualité rapportée au revenu net mensuel) proche de 33% et les seuls cas où ce ratio peut dépasser le tiers de revenus et atteindre 35% ou plus, sont ceux de ménages à revenus élevés, ou dans les cas d'investissement locatifs”, précise Maël Bernier, directrice de la communication de Meilleurtaux.com.

“Par ailleurs, la prescription qui consiste à ne pas prêter au-delà de 25 ans est également sans réelle conséquence car sur l'année 2019, les produits sur 30 ans étaient extrêmement rares, voir totalement inexistants”, ajoute-t-elle. “En clair, nous considérons qu'il n'y a pas de risque de bulle et le crédit immobilier en France fonctionne tant pour les établissements prêteurs que pour les emprunteurs avec des systèmes de garantie et d'assurance qui n'existent nulle part ailleurs”, conclut Maël Bernier.

Une conséquence directe de la politique de la BCE

Au-delà des interrogations du secteur, la position des autorités françaises témoigne d'un paradoxe: elles durcissent le ton alors que l'essor du crédit immobilier ne fait que répercuter la politique de la BCE, qui a encore renouvelé jeudi 12 décembre son dispositif de soutien à l'économie. "C'est un peu gonflé", a commenté auprès de l'AFP l'économiste Nathalie Janson, professeur à l'école rouennaise Neoma et spécialiste des politiques monétaires.

"On a des injonctions contradictoires: il faut qu'il y ait plus de crédit, mais qu'il ne se concentre pas", a-t-elle détaillé, jugeant que la situation témoignait d'abord des "fragilités" créées par la politique de la BCE. "D'un côté, (la BCE) met des taux absolument au plancher depuis des années et de l'autre, on reproche aux individus la manière de les utiliser", a conclu Nathalie Janson. "On vous dit: il ne faut pas dépenser votre argent comme ça, c'est très paternaliste."

Avec AFP

Diane Lacaze